Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/141

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qui voulait lutter avec la Seine et qui s’était jetée violemment dans l’adultère ; mais elle eut conscience de la bonté et de la douceur, elle comprit le visage mou et l’attitude morte de la femme d’Olivier, elle sut qu’on pouvait ne pas tuer son mari et être heureuse. Alors elle ne se vit plus bien elle-même, elle vécut dans une indécision cruelle.

De son côté, Laurent passa par différentes phases de calme et de fièvre. Il goûta d’abord une tranquillité profonde ; il était comme soulagé d’un poids énorme. Par moments, il s’interrogeait avec étonnement, il croyait avoir fait un mauvais rêve, il se demandait s’il était bien vrai qu’il eût jeté Camille à l’eau et qu’il eût revu son cadavre sur une dalle de la Morgue. Le souvenir de son crime le surprenait étrangement ; jamais il ne se serait cru capable d’un assassinat ; toute sa prudence, toute sa lâcheté frissonnait, il lui montait au front des sueurs glacées, lorsqu’il songeait qu’on aurait pu découvrir son crime et le guillotiner. Alors il sentait à son cou le froid du couteau. Tant qu’il avait agi, il était allé droit devant lui, avec un entêtement et un aveuglement de brute. Maintenant il se retournait, et, à voir l’abîme qu’il venait de franchir, des défaillances d’épouvante le prenaient.

— Sûrement, j’étais ivre, pensait-il ; cette femme m’avait soûlé de caresses. Bon Dieu ! ai-je été bête et fou ! Je risquais la guillotine, avec une pareille histoire… Enfin, tout s’est bien passé. Si c’était à refaire, je ne recommencerais pas.