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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/142

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Laurent s’affaissa, devint mou, plus lâche et plus prudent que jamais. Il engraissa et s’avachit. Quelqu’un qui aurait étudié ce grand corps, tassé sur lui-même, et qui ne paraissait avoir ni os ni nerfs, n’aurait jamais songé à l’accuser de violence et de cruauté.

Il reprit ses anciennes habitudes. Il fut pendant plusieurs mois un employé modèle, faisant sa besogne avec un abrutissement exemplaire. Le soir, il mangeait dans une crémerie de la rue Saint-Victor, coupant son pain par petites tranches, mâchant avec lenteur, faisant traîner son repas le plus possible ; puis il se renversait, il s’adossait au mur, et fumait sa pipe. On aurait dit un bon gros père. Le jour, il ne pensait à rien ; la nuit, il dormait d’un sommeil lourd et sans rêves. Le visage rose et gras, le ventre plein, le cerveau vide, il était heureux.

Sa chair semblait morte, il ne songeait guère à Thérèse. Il pensait parfois à elle, comme on pense à une femme qu’on doit épouser plus tard, dans un avenir indéterminé. Il attendait l’heure de son mariage avec patience, oubliant la femme, rêvant à la nouvelle position qu’il aurait alors. Il quitterait son bureau, il peindrait en amateur, il flânerait. Ces espoirs le ramenaient, chaque soir, à la boutique du passage, malgré le vague malaise qu’il éprouvait en y entrant.

Un dimanche, s’ennuyant, ne sachant que faire, il alla chez son ancien ami de collége, chez le jeune peintre avec lequel il avait logé pendant longtemps. L’artiste travaillait à un tableau qu’il comptait envoyer