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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/143

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au Salon et qui représentait une Bacchante nue, vautrée sur un lambeau d’étoffe. Dans le fond de l’atelier, un modèle, une femme était couchée, la tête ployée en arrière, le torse tordu, la hanche haute. Cette femme riait par moments et tendait la poitrine, allongeant les bras, s’étirant, pour se délasser. Laurent, qui s’était assis en face d’elle, la regardait, en fumant et en causant avec son ami. Son sang battit, ses nerfs s’irritèrent dans cette contemplation. Il resta jusqu’au soir, il emmena la femme chez lui. Pendant près d’un an, il la garda pour maîtresse. La pauvre fille s’était mise à l’aimer, le trouvant bel homme. Le matin, elle partait, allait poser tout le jour, et revenait régulièrement chaque soir à la même heure ; elle se nourrissait, s’habillait, s’entretenait avec l’argent qu’elle gagnait, ne coûtant ainsi pas un sou à Laurent, qui ne s’inquiétait nullement d’où elle venait ni de ce qu’elle avait pu faire. Cette femme mit un équilibre de plus dans sa vie ; il l’accepta comme un objet utile et nécessaire qui maintient son corps en paix et en santé ; il ne sut jamais s’il l’aimait et jamais il ne lui vint à la pensée qu’il était infidèle à Thérèse. Il se sentait plus gras et plus heureux. Voilà tout.

Cependant le deuil de Thérèse était fini. La jeune femme s’habillait de robes claires, et il arriva qu’un soir Laurent la trouva rajeunie et embellie. Mais il éprouvait toujours un certain malaise devant elle ; depuis quelque temps, elle lui paraissait fiévreuse, pleine de caprices étranges, riant et s’attristant sans