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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/158

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frissons ; leurs cœurs, dans une espèce de fraternité poignante, se serraient aux mêmes angoisses. Ils eurent dès lors un seul corps et une seule âme pour jouir et pour souffrir. Cette communauté, cette pénétration mutuelle est un fait de psychologie et de physiologie qui a souvent lieu chez les êtres que de grandes secousses nerveuses heurtent violemment l’un à l’autre.

Pendant plus d’une année, Thérèse et Laurent portèrent légèrement la chaîne rivée à leurs membres, qui les unissait ; dans l’affaissement succédant à la crise aiguë du meurtre, dans les dégoûts et les besoins de calme et d’oubli qui avaient suivi, ces deux forçats purent croire qu’ils étaient libres, qu’un lien de fer ne les liait plus ; la chaîne détendue traînait à terre ; eux, ils se reposaient, ils se trouvaient frappés d’une sorte de stupeur heureuse, ils cherchaient à aimer ailleurs, à vivre avec un sage équilibre. Mais le jour où, poussés par les faits, ils en étaient venus à échanger de nouveau des paroles ardentes, la chaîne se tendit violemment, ils reçurent une secousse telle, qu’ils se sentirent à jamais attachés l’un à l’autre.

Dès le lendemain, Thérèse se mit à l’œuvre, travailla sourdement à amener son mariage avec Laurent. C’était là une tâche difficile, pleine de périls. Les amants tremblaient de commettre une imprudence, d’éveiller les soupçons, de montrer trop brusquement l’intérêt qu’ils avaient eu à la mort de Camille. Comprenant qu’ils ne pouvaient parler de mariage, ils arrê-