Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tèrent un plan fort sage qui consistait à se faire offrir ce qu’ils n’osaient demander, par madame Raquin elle-même et par les invités du jeudi. Il ne s’agissait plus que de donner l’idée de remarier Thérèse à ces braves gens, surtout de leur faire accroire que cette idée venait d’eux et leur appartenait en propre.

La comédie fut longue et délicate à jouer. Thérèse et Laurent avaient pris chacun le rôle qui leur convenait ; ils avançaient avec une prudence extrême, calculant le moindre geste, la moindre parole. Au fond, ils étaient dévorés par une impatience qui roidissait et tendait leurs nerfs. Ils vivaient au milieu d’une irritation continuelle, il leur fallait toute leur lâcheté pour s’imposer des airs souriants et paisibles.

S’ils avaient hâte d’en finir, c’est qu’ils ne pouvaient plus rester séparés et solitaires. Chaque nuit, le noyé les visitait, l’insomnie les couchait sur un lit de charbons ardents et les retournait avec des pinces de feu. L’état d’énervement dans lequel ils vivaient, activait encore chaque soir la fièvre de leur sang, en dressant devant eux des hallucinations atroces. Thérèse, lorsque le crépuscule était venu, n’osait plus monter dans sa chambre ; elle éprouvait des angoisses vives, quand il lui fallait s’enfermer jusqu’au matin dans cette grande pièce, qui s’éclairait de lueurs étranges et se peuplait de fantômes, dès que la lumière était éteinte. Elle finit par laisser sa bougie allumée, par ne plus vouloir dormir, afin de tenir toujours ses yeux grands ouverts. Et quand la fatigue baissait ses paupières, elle voyait