Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/167

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fils mort, il lui semblait qu’il ne pouvait plus exister de mari pour sa nièce. Et voilà que Michaud affirmait, avec un gros rire, que Thérèse était malade par besoin de mari.

— Mariez-la au plus tôt, dit-il en s’en allant, si vous ne voulez pas la voir se dessécher entièrement. Tel est mon avis, chère dame, et il est bon, croyez-moi.

Madame Raquin ne put s’habituer tout de suite à la pensée que son fils était déjà oublié. Le vieux Michaud n’avait pas même prononcé le nom de Camille, et il s’était mis à plaisanter en parlant de la prétendue maladie de Thérèse. La pauvre mère comprit qu’elle gardait seule, au fond de son être, le souvenir vivant de son cher enfant. Elle pleura, il lui sembla que Camille venait de mourir une seconde fois. Puis, quand elle eut bien pleuré, qu’elle fut lasse de regrets, elle songea malgré elle aux paroles de Michaud, elle s’accoutuma à l’idée d’acheter un peu de bonheur au prix d’un mariage qui, dans les délicatesses de sa mémoire, tuait de nouveau son fils. Des lâchetés lui venaient, lorsqu’elle se trouvait seule en face de Thérèse, morne et accablée, au milieu du silence glacial de la boutique. Elle n’était pas un de ces esprits roides et secs qui prennent une joie âpre à vivre d’un désespoir éternel ; il y avait en elle des souplesses, des dévouements, des effusions, tout un tempérament de bonne dame, grasse et affable, qui la poussait à vivre dans une tendresse active. Depuis que sa nièce ne parlait plus et restait là, pâle et affaiblie, l’existence devenait intolérable pour elle,