Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/168

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la boutique lui paraissait un tombeau ; elle aurait voulu une affection chaude autour d’elle, de la vie, des caresses, quelque chose de doux et de gai qui l’aidât à attendre paisiblement la mort. Ces désirs inconscients lui firent accepter le projet de remarier Thérèse ; elle oublia même un peu son fils ; il y eut, dans l’existence morte qu’elle menait, comme un réveil, comme des volontés et des occupations nouvelles d’esprit. Elle cherchait un mari pour sa nièce, et cela emplissait sa tête. Ce choix d’un mari était une grande affaire ; la pauvre vieille songeait encore plus à elle qu’à Thérèse ; elle voulait la marier de façon à être heureuse elle-même, car elle craignait vivement que le nouvel époux de la jeune femme ne vînt troubler les dernières heures de sa vieillesse. La pensée qu’elle allait introduire un étranger dans son existence de chaque jour l’épouvantait ; cette pensée seule l’arrêtait, l’empêchait de causer mariage avec sa nièce, ouvertement.

Pendant que Thérèse jouait, avec cette hypocrisie parfaite que son éducation lui avait donnée, la comédie de l’ennui et de l’accablement, Laurent avait pris le rôle d’homme sensible et serviable. Il était aux petits soins pour les deux femmes, surtout pour madame Raquin, qu’il comblait d’attentions délicates. Peu à peu, il se rendit indispensable dans la boutique ; lui seul mettait un peu de gaieté au fond de ce trou noir. Quand il n’était pas là, le soir, la vieille mercière cherchait autour d’elle, mal à l’aise, comme s’il lui manquait quelque chose, ayant presque peur de se trouver en