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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/189

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mornes en face l’un de l’autre. Ils auraient voulu avoir la force de s’étreindre et de se briser, afin de ne point passer à leurs propres yeux pour des imbéciles. Hé quoi ! ils s’appartenaient, ils avaient tué un homme et joué une atroce comédie pour pouvoir se vautrer avec impudence dans un assouvissement de toutes les heures, et ils se tenaient là, aux deux coins d’une cheminée, roides, épuisés, l’esprit troublé, la chair morte. Un tel dénoûment finit par leur paraître d’un ridicule horrible et cruel. Alors Laurent essaya de parler d’amour, d’évoquer les souvenirs d’autrefois, faisant appel à son imagination pour ressusciter ses tendresses.

— Thérèse, dit-il en se penchant vers la jeune femme, te souviens-tu de nos après-midi dans cette chambre ?… Je venais par cette porte… Aujourd’hui, je suis entré par celle-ci… Nous sommes libres, nous allons pouvoir nous aimer en paix.

Il parlait d’une voix hésitante, mollement. La jeune femme, accroupie sur la chaise basse, regardait toujours la flamme, songeuse, n’écoutant pas. Laurent continua :

— Te rappelles-tu ? J’avais un rêve, je voulais passer une nuit entière avec toi, m’endormir dans tes bras et me réveiller le lendemain sous tes baisers. Je vais contenter ce rêve.

Thérèse fit un mouvement, comme surprise d’entendre une voix qui balbutiait à ses oreilles ; elle se tourna vers Laurent sur le visage duquel le foyer en-