Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/190

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voyait en ce moment un large reflet rougeâtre ; elle regarda ce visage sanglant, et frissonna.

Le jeune homme reprit, plus troublé, plus inquiet :

— Nous avons réussi, Thérèse, nous avons brisé tous les obstacles, et nous nous appartenons… L’avenir est à nous, n’est-ce pas ? un avenir de bonheur tranquille, d’amour satisfait… Camille n’est plus là…

Laurent s’arrêta, la gorge sèche, étranglant, ne pouvant continuer. Au nom de Camille, Thérèse avait reçu un choc aux entrailles. Les deux meurtriers se contemplèrent, hébétés, pâles et tremblants. Les clartés jaunes du foyer dansaient toujours au plafond et sur les murs, l’odeur tiède des roses traînait, les pétillements du bois jetaient de petits bruits secs dans le silence.

Les souvenirs étaient lâchés. Le spectre de Camille évoqué venait de s’asseoir entre les nouveaux époux, en face du feu qui flambait. Thérèse et Laurent retrouvaient la senteur froide et humide du noyé dans l’air chaud qu’ils respiraient ; ils se disaient qu’un cadavre était là, près d’eux, et ils s’examinaient l’un l’autre, sans oser bouger. Alors toute la terrible histoire de leur crime se déroula au fond de leur mémoire. Le nom de leur victime suffit pour les emplir du passé, pour les obliger à vivre de nouveau les angoisses de l’assassinat. Ils n’ouvrirent pas les lèvres, ils se regardèrent, et tous deux eurent à la fois le même cauchemar, tous deux entamèrent mutuellement des yeux