Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/191

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la même histoire cruelle. Cet échange de regards terrifiés, ce récit muet qu’ils allaient se faire du meurtre, leur causa une appréhension aiguë, intolérable. Leurs nerfs qui se tendaient les menaçaient d’une crise ; ils pouvaient crier, se battre peut-être. Laurent, pour chasser les souvenirs, s’arracha violemment à l’extase épouvantée qui le tenait sous le regard de Thérèse ; il fit quelques pas dans la chambre ; il retira ses bottes et mit des pantoufles ; puis il revint s’asseoir au coin de la cheminée, il essaya de parler de choses indifférentes.

Thérèse comprit son désir. Elle s’efforça de répondre à ses questions. Ils causèrent de la pluie et du beau temps. Ils voulurent se forcer à une causerie banale. Laurent déclara qu’il faisait chaud dans la chambre, Thérèse dit que cependant des courants d’air passaient sous la petite porte de l’escalier. Et ils se retournèrent vers la petite porte avec un frémissement subit. Le jeune homme se hâta de parler des roses, du feu, de tout ce qu’il voyait ; la jeune femme faisait effort, trouvait des monosyllabes, pour ne pas laisser tomber la conversation. Ils s’étaient reculés l’un de l’autre ; ils prenaient des airs dégagés ; ils tâchaient d’oublier qui ils étaient et de se traiter comme des étrangers qu’un hasard quelconque aurait mis face à face.

Et malgré eux, par un étrange phénomène, tandis qu’ils prononçaient des mots vides, ils devinaient mutuellement les pensées qu’ils cachaient sous la banalité de leurs paroles. Ils songeaient invinciblement à Ca-