Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/197

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sur une dalle de la Morgue. Il demeura cloué sur le tapis, défaillant, s’appuyant contre un meuble. Au râle sourd qu’il poussa, Thérèse leva la tête.

— Là, là, disait Laurent d’une voix terrifiée.

Le bras tendu, il montrait le coin d’ombre dans lequel il apercevait le visage sinistre de Camille. Thérèse, gagnée par l’épouvante, vint se serrer contre lui.

— C’est son portrait, murmura-t-elle à voix basse, comme si la figure peinte de son ancien mari eût pu l’entendre.

— Son portrait, répéta Laurent dont les cheveux se dressaient.

— Oui, tu sais, la peinture que tu as faite. Ma tante devait le prendre chez elle, à partir d’aujourd’hui. Elle aura oublié de le décrocher.

— Bien sûr, c’est son portrait…

Le meurtrier hésitait à reconnaître la toile. Dans son trouble, il oubliait qu’il avait lui-même dessiné ces traits heurtés, étalé ces teintes sales qui l’épouvantaient. L’effroi lui faisait voir le tableau tel qu’il était, ignoble, mal bâti, boueux, montrant sur un fond noir une face grimaçante de cadavre. Son œuvre l’étonnait et l’écrasait par sa laideur atroce ; il y avait surtout les deux yeux blancs flottant dans les orbites molles et jaunâtres, qui lui rappelaient exactement les yeux pourris du noyé de la Morgue. Il resta un moment haletant, croyant que Thérèse mentait pour le rassurer. Puis il distingua le cadre, il se calma peu à peu.