Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/198

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— Va le décrocher, dit-il tout bas à la jeune femme.

— Oh ! non, j’ai peur, répondit celle-ci avec un frisson.

Laurent se remit à trembler. Par instants, le cadre disparaissait, il ne voyait plus que les deux yeux blancs qui se fixaient sur lui, longuement.

— Je t’en prie, reprit-il en suppliant sa compagne, va le décrocher.

— Non, non.

— Nous le tournerons contre le mur, nous n’aurons plus peur.

— Non, je ne puis pas.

Le meurtrier, lâche et humble, poussait la jeune femme vers la toile, se cachait derrière elle, pour se dérober aux regards du noyé. Elle s’échappa, et il voulut payer d’audace ; il s’approcha du tableau, levant la main, cherchant le clou. Mais le portrait eut un regard si écrasant, si ignoble, si long, que Laurent, après avoir voulu lutter de fixité avec lui, fut vaincu et recula, accablé, en murmurant :

— Non, tu as raison, Thérèse, nous ne pouvons pas… Ta tante le décrochera demain.

Il reprit sa marche de long en large, baissant la tête, sentant que le portrait le regardait, le suivait des yeux. Il ne pouvait s’empêcher, par instants, de jeter un coup d’œil du côté de la toile ; alors, au fond de l’ombre, il apercevait toujours les regards ternes et morts du noyé. La pensée que Camille était là, dans