Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/200

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Dans cette heure de fièvre et de crainte, il crut que le chat allait lui sauter au visage pour venger Camille. Cette bête devait tout savoir : il y avait des pensées dans ses yeux ronds, étrangement dilatés. Laurent baissa les paupières, devant la fixité de ces regards de brute. Comme il allait donner un coup de pied à François :

— Ne lui fais pas de mal, s’écria Thérèse.

Ce cri lui causa une étrange impression. Une idée absurde lui emplit la tête.

— Camille est entré dans ce chat, pensa-t-il. Il faudra que je tue cette bête… Elle a l’air d’une personne.

Il ne donna pas le coup de pied, craignant d’entendre François lui parler avec le son de voix de Camille. Puis il se rappela les plaisanteries de Thérèse, aux temps de leurs voluptés, lorsque le chat était témoin des baisers qu’ils échangeaient. Il se dit alors que cette bête en savait trop et qu’il fallait la jeter par la fenêtre. Mais il n’eut pas le courage d’accomplir son dessein. François gardait une attitude de guerre ; les griffes allongées, le dos soulevé par une irritation sourde, il suivait les moindres mouvements de son ennemi avec une tranquillité superbe. Laurent fut gêné par l’éclat métallique de ses yeux ; il se hâta de lui ouvrir la porte de la salle à manger, et le chat s’enfuit en poussant un miaulement aigu.

Thérèse s’était assise de nouveau devant le foyer éteint. Laurent reprit sa marche du lit à la fenêtre.