Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/201

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C’est ainsi qu’ils attendirent le jour. Ils ne songèrent pas à se coucher ; leur chair et leur cœur étaient bien morts. Un seul désir les tenait, le désir de sortir de cette chambre où ils étouffaient. Ils éprouvaient un véritable malaise à être enfermés ensemble, à respirer le même air ; ils auraient voulu qu’il y eût là quelqu’un pour rompre leur tête-à-tête, pour les tirer de l’embarras cruel où ils étaient, en restant l’un devant l’autre sans parler, sans pouvoir ressusciter leur passion. Leurs longs silences les torturaient ; ces silences étaient lourds de plaintes amères et désespérées, de reproches muets, qu’ils entendaient distinctement dans l’air tranquille.

Le jour vint enfin, sale et blanchâtre, amenant avec lui un froid pénétrant.

Lorsqu’une clarté pâle eut empli la chambre, Laurent qui grelottait se sentit plus calme. Il regarda en face le portrait de Camille, et le vit tel qu’il était, banal et puéril ; il le décrocha en haussant les épaules, en se traitant de bête. Thérèse s’était levée et défaisait le lit pour tromper sa tante, pour faire croire à une nuit heureuse.

— Ah ça, lui dit brutalement Laurent, j’espère que nous dormirons ce soir ?… Ces enfantillages-là ne peuvent durer.

Thérèse lui jeta un coup d’œil grave et profond.

— Tu comprends, continua-t-il, je ne me suis pas marié pour passer des nuits blanches… Nous sommes des enfants… C’est toi qui m’as troublé, avec tes airs