Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/205

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s’abandonna éperdument à ses crises d’ivresse que jamais son sang ne lui avait procurées. Alors eut lieu en lui un étrange travail ; les nerfs se développèrent, l’emportèrent sur l’élément sanguin, et ce fait seul modifia sa nature. Il perdit son calme, sa lourdeur, il ne vécut plus une vie endormie. Un moment arriva où les nerfs et le sang se tinrent en équilibre ; ce fut là un moment de jouissance profonde, d’existence parfaite. Puis les nerfs dominèrent et il tomba dans les angoisses qui secouent les corps et les esprits détraqués.

C’est ainsi que Laurent s’était mis à trembler devant un coin d’ombre, comme un enfant poltron. L’être frissonnant et hagard, le nouvel individu qui venait de se dégager en lui du paysan épais et abruti, éprouvait les peurs, les anxiétés des tempéraments nerveux. Toutes les circonstances, les caresses fauves de Thérèse, la fièvre du meurtre, l’attente épouvantée de la volupté, l’avaient rendu comme fou, en exaltant ses sens, en frappant à coups brusques et répétés sur ses nerfs. Enfin l’insomnie était venue fatalement, apportant avec elle l’hallucination. Dès lors, Laurent avait roulé dans la vie intolérable, dans l’effroi éternel où il se débattait.

Ses remords étaient purement physiques. Son corps, ses nerfs irrités et sa chair tremblante avaient seuls peur du noyé. Sa conscience n’entrait pour rien dans ses terreurs, il n’avait pas le moindre regret d’avoir tué Camille ; lorsqu’il était calme, lorsque le spectre ne