Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/208

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visage marbré de taches livides, tout grelottants de malaise et de froid, ils se contemplaient avec stupeur, étonnés de se voir là, ayant vis-à-vis l’un de l’autre des pudeurs étranges, des hontes de montrer leur écœurement et leur terreur.

Ils luttaient d’ailleurs contre le sommeil autant qu’ils pouvaient. Ils s’asseyaient aux deux coins de la cheminée et causaient de mille riens, ayant grand soin de ne pas laisser tomber la conversation. Il y avait un large espace entre eux, en face du foyer. Quand ils tournaient la tête, ils s’imaginaient que Camille avait approché un siège et qu’il occupait cet espace, se chauffant les pieds d’une façon lugubrement goguenarde. Cette vision qu’ils avaient eue le soir des noces, revenait chaque nuit. Ce cadavre qui assistait, muet et railleur, à leurs entretiens, ce corps horriblement défiguré qui se tenait toujours là, les accablait d’une continuelle anxiété. Ils n’osaient bouger, ils s’aveuglaient à regarder les flammes ardentes, et, lorsque invinciblement ils jetaient un coup d’œil craintif à côté d’eux, leurs yeux, irrités par les charbons ardents, créaient la vision et lui donnaient des reflets rougeâtres.

Laurent finit par ne plus vouloir s’asseoir, sans avouer à Thérèse la cause de ce caprice. Thérèse comprit que Laurent devait voir Camille, comme elle le voyait ; elle déclara à son tour que la chaleur lui faisait mal, qu’elle serait mieux à quelques pas de la cheminée. Elle poussa son fauteuil au pied du lit et