Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/207

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fluides puissants qui devaient éclater plus tard en véritables tempêtes. Laurent avait été pour elle ce qu’elle avait été pour Laurent, une sorte de choc brutal. Dès la première étreinte d’amour, son tempérament sec et voluptueux s’était développé avec une énergie sauvage ; elle n’avait plus vécu que pour la passion. S’abandonnant de plus en plus aux fièvres qui la brûlaient, elle en était arrivée à une sorte de stupeur maladive. Les faits l’écrasaient, tout la poussait à la folie. Dans ses effrois, elle se montrait plus femme que son nouveau mari ; elle avait de vagues remords, des regrets inavoués ; il lui prenait des envies de se jeter à genoux et d’implorer le spectre de Camille, de lui demander grâce en lui jurant de l’apaiser par son repentir. Peut-être Laurent s’apercevait-il de ces lâchetés de Thérèse. Lorsqu’une épouvante commune les agitait, il s’en prenait à elle, il la traitait avec brutalité.

Les premières nuits, ils ne purent se coucher. Ils attendirent le jour, assis devant le feu, se promenant de long en large, comme le jour des noces. La pensée de s’étendre côte à côte sur le lit leur causait une sorte de répugnance effrayée. D’un accord tacite, ils évitèrent de s’embrasser, ils ne regardèrent même pas la couche que Thérèse défaisait le matin. Quand la fatigue les accablait, ils s’endormaient pendant une ou deux heures dans des fauteuils, pour s’éveiller en sursaut, sous le coup du dénoûment sinistre de quelque cauchemar. Au réveil, les membres roidis et brisés, le