Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/212

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de Laurent. Il continuait, avec plus de violence, en se déchirant lui-même :

— Il faudra que je te mène une nuit au cimetière… Nous ouvrirons la bière de Camille, et tu verras quel tas de pourriture ! Alors tu n’auras plus peur, peut-être… Va, il ne sait pas que nous l’avons jeté à l’eau.

Thérèse, la tête dans les draps, poussait des plaintes étouffées.

— Nous l’avons jeté à l’eau parce qu’il nous gênait, reprenait son mari… Nous l’y jetterions encore, n’est-ce pas ?… Ne fais donc pas l’enfant comme ça. Sois forte. C’est bête de troubler notre bonheur… Vois-tu, ma bonne, quand nous serons morts, nous ne nous trouverons ni plus ni moins heureux dans la terre, parce que nous avons lancé un imbécile à la Seine, et nous aurons joui librement de notre amour, ce qui est un avantage… Voyons, embrasse-moi.

La jeune femme l’embrassait, glacée, folle, et il était tout aussi frémissant qu’elle.

Laurent, pendant plus de quinze jours, se demanda comment il pourrait bien faire pour tuer de nouveau Camille. Il l’avait jeté à l’eau, et voilà qu’il n’était pas assez mort, qu’il revenait toutes les nuits se coucher dans le lit de Thérèse. Lorsque les meurtriers croyaient avoir achevé l’assassinat et pouvoir se livrer en paix aux douceurs de leurs tendresses, leur victime ressuscitait pour glacer leur couche. Thérèse n’était pas veuve, Laurent se trouvait être l’époux d’une femme qui avait déjà pour mari un noyé.