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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/221

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mais les embrasser, puis il se rendait à son bureau en flânant. Le printemps venait ; les arbres des quais se couvraient de feuilles, d’une légère dentelle d’un vert pâle. En bas, la rivière coulait avec des bruits caressants ; en haut, les rayons des premiers soleils avaient des tiédeurs douces. Laurent se sentait renaître dans l’air frais ; il respirait largement ces souffles de vie jeune qui descendent des cieux d’avril et de mai ; il cherchait le soleil, s’arrêtait pour regarder les reflets d’argent qui moiraient la Seine, écoutait les bruits des quais, se laissait pénétrer par les senteurs âcres du matin, jouissait par tous ses sens de la matinée claire et heureuse. Certes, il ne songeait guère à Camille ; quelquefois il lui arrivait de contempler machinalement la Morgue, de l’autre côté de l’eau ; il pensait alors au noyé en homme courageux qui penserait à une peur bête qu’il aurait eue. L’estomac plein, le visage rafraîchi, il retrouvait sa tranquillité épaisse, il arrivait à son bureau et y passait la journée entière à bâiller, à attendre l’heure de la sortie. Il n’était plus qu’un employé comme les autres, abruti et ennuyé, ayant la tête vide. La seule idée qu’il eût alors était l’idée de donner sa démission et de louer un atelier ; il rêvait vaguement une nouvelle existence de paresse, et cela suffisait pour l’occuper jusqu’au soir. Jamais le souvenir de la boutique du passage ne venait le troubler. Le soir, après avoir désiré l’heure de la sortie depuis le matin, il sortait avec regret, il reprenait les quais, sourdement troublé et inquiet. Il avait beau