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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/236

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ment, et, stupéfait, ne cherchant même pas à cacher sa surprise :

— C’est toi qui as fait cela ? demanda-t-il à Laurent.

— Oui, répondit celui-ci. Ce sont des esquisses qui me serviront pour un grand tableau que je prépare.

— Voyons, pas de blague, tu es vraiment l’auteur de ces machines-là ?

— Eh ! oui. Pourquoi n’en serais-je pas l’auteur ?

Le peintre n’osa répondre : « Parce que ces toiles sont d’un artiste, et que tu n’as jamais été qu’un ignoble maçon. » Il resta longtemps en silence devant les études. Certes, ces études étaient gauches, mais elles avaient une étrangeté, un caractère si puissant qu’elles annonçaient un sens artistique des plus développés. On eût dit de la peinture vécue. Jamais l’ami de Laurent n’avait vu des ébauches si pleines de hautes promesses. Quand il eut bien examiné les toiles, il se tourna vers l’auteur :

— Là, franchement, lui dit-il, je ne t’aurais pas cru capable de peindre ainsi. Où diable as-tu appris à avoir du talent ? Ça ne s’apprend pas d’ordinaire.

Et il considérait Laurent, dont la voix lui semblait plus douce, dont chaque geste avait une sorte d’élégance. Il ne pouvait deviner l’effroyable secousse qui avait changé cet homme, en développant en lui des nerfs de femme, des sensations aiguës et délicates. Sans doute un phénomène étrange s’était accompli dans l’organisme du meurtrier de Camille. Il est difficile à