Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/235

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il exposa ses projets d’avenir d’une voix fiévreuse. Son ami le regardait d’un air étonné qui le troublait et l’inquiétait. La vérité était que le peintre ne retrouvait pas dans le mari de Thérèse le garçon épais et commun qu’il avait connu autrefois. Il lui semblait que Laurent prenait des allures distinguées ; le visage s’était aminci et avait des pâleurs de bon goût, le corps entier se tenait plus digne et plus souple.

— Mais tu deviens joli garçon, ne put s’empêcher de s’écrier l’artiste, tu as une tenue d’ambassadeur. C’est du dernier chic. À quelle école es-tu donc ?

L’examen qu’il subissait pesait beaucoup à Laurent. Il n’osait s’éloigner d’une façon brusque.

— Veux-tu monter un instant à mon atelier, demanda-t-il enfin à son ami, qui ne le quittait pas.

— Volontiers, répondit celui-ci.

Le peintre, ne se rendant pas compte des changements qu’il observait, était désireux de visiter l’atelier de son ancien camarade. Certes, il ne montait pas cinq étages pour voir les nouvelles œuvres de Laurent, qui allaient sûrement lui donner des nausées ; il avait la seule envie de contenter sa curiosité.

Quand il fut monté et qu’il eut jeté un coup d’œil sur les toiles accrochées aux murs, son étonnement redoubla. Il y avait là cinq études, deux têtes de femme et trois têtes d’homme, peintes avec une véritable énergie ; l’allure en était grasse et solide, chaque morceau s’enlevait par taches magnifiques sur les fonds d’un gris clair. L’artiste s’approcha vive-