Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/244

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blafard, eût été un spectacle insoutenable pour d’autres, mais ils éprouvaient un tel besoin de compagnie, qu’ils y reposaient leurs regards avec une véritable joie. On eût dit le masque dissous d’une morte, au milieu duquel on aurait mis deux yeux vivants ; ces yeux seuls bougeaient, roulant rapidement dans leur orbite ; les joues, la bouche étaient comme pétrifiées, elles gardaient une immobilité qui épouvantait. Lorsque madame Raquin se laissait aller au sommeil et baissait les paupières, sa face, alors toute blanche et toute muette, était vraiment celle d’un cadavre ; Thérèse et Laurent, qui ne sentaient plus personne avec eux, faisaient du bruit jusqu’à ce que la paralytique eût relevé les paupières et les eût regardés. Ils l’obligeaient ainsi à rester éveillée.

Ils la considéraient comme une distraction qui les tirait de leurs mauvais rêves. Depuis qu’elle était infirme, il fallait la soigner ainsi qu’un enfant. Les soins qu’ils lui prodiguaient les forçaient à secouer leurs pensées. Le matin, Laurent la levait, la portait dans son fauteuil, et, le soir, il la remettait sur son lit ; elle était lourde encore, il devait user de toute sa force pour la prendre délicatement entre ses bras et la transporter. C’était également lui qui roulait son fauteuil. Les autres soins regardaient Thérèse : elle habillait l’impotente, elle la faisait manger, elle cherchait à comprendre ses moindres désirs. Madame Raquin conserva pendant quelques jours l’usage de ses mains, elle put écrire sur une ardoise et demander ainsi ce