Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/245

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dont elle avait besoin ; puis ces mains moururent, il lui devint impossible de les soulever et de tenir un crayon ; dès lors, elle n’eut plus que le langage du regard, il fallut que sa nièce devinât ce qu’elle désirait. La jeune femme se voua au rude métier de garde-malade ; cela lui créa une occupation de corps et d’esprit qui lui fit grand bien.

Les époux, pour ne point rester face à face, roulaient dès le matin, dans la salle à manger, le fauteuil de la pauvre vieille. Ils l’apportaient entre eux, comme si elle eût été nécessaire à leur existence ; ils la faisaient assister à leur repas, à toutes leurs entrevues. Ils feignaient de ne pas comprendre, lorsqu’elle témoignait le désir de passer dans sa chambre. Elle n’était bonne qu’à rompre leur tête-à-tête, elle n’avait pas le droit de vivre à part. À huit heures, Laurent allait à son atelier, Thérèse descendait à la boutique, la paralytique demeurait seule dans la salle à manger jusqu’à midi ; puis, après le déjeuner, elle se trouvait seule à nouveau jusqu’à six heures. Souvent, pendant la journée, sa nièce montait et tournait autour d’elle, s’assurant si elle ne manquait de rien. Les amis de la famille ne savaient quels éloges inventer pour exalter les vertus de Thérèse et de Laurent.

Les réceptions du jeudi continuèrent, et l’impotente y assista, comme par le passé. On approchait son fauteuil de la table ; de huit heures à onze heures, elle tenait les yeux ouverts, regardant tour à tour les invités avec des lueurs pénétrantes. Les premiers jours,