Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/247

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lement, à chaque fois, Grivet se trompait. Souvent, il interrompait la partie de dominos, il examinait la paralytique dont les yeux suivaient paisiblement le jeu, et il déclarait qu’elle demandait telle ou telle chose. Vérification faite, madame Raquin ne demandait rien du tout ou demandait une chose toute différente. Cela ne décourageait pas Grivet, qui lançait un victorieux : « Quand je vous le disais ! » et qui recommençait quelques minutes plus tard. C’était une bien autre affaire lorsque l’impotente témoignait ouvertement un désir ; Thérèse, Laurent, les invités nommaient l’un après l’autre les objets qu’elle pouvait souhaiter. Grivet se faisait alors remarquer par la maladresse de ses offres. Il nommait tout ce qui lui passait par la tête, au hasard, offrant toujours le contraire de ce que madame Raquin désirait. Ce qui ne lui empêchait pas de répéter :

— Moi, je lis dans ses yeux comme dans un livre. Tenez, elle me dit que j’ai raison… N’est-ce pas, chère dame… Oui, oui.

D’ailleurs, ce n’était pas une chose facile que de saisir les souhaits de la pauvre vieille. Thérèse seule avait cette science. Elle communiquait assez aisément avec cette intelligence murée, vivante encore et enterrée au fond d’une chair morte. Que se passait-il dans cette misérable créature qui vivait juste assez pour assister à la vie sans y prendre part ? Elle voyait, elle entendait, elle raisonnait sans doute d’une façon nette et claire, et elle n’avait plus le geste, elle n’avait