Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/246

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le vieux Michaud et Grivet demeurèrent un peu embarrassés en face du cadavre de leur vieille amie ; ils ne savaient quelle contenance tenir, ils n’éprouvaient qu’un chagrin médiocre, et ils se demandaient dans quelle juste mesure il était convenable de s’attrister. Fallait-il parler à cette face morte, fallait-il ne pas s’en occuper du tout ? Peu à peu, ils prirent le parti de traiter madame Raquin comme si rien ne lui était arrivé. Ils finirent par feindre d’ignorer complètement son état. Ils causaient avec elle, faisant les demandes et les réponses, riant pour elle et pour eux, ne se laissant jamais démonter par l’expression rigide de son visage. Ce fut un étrange spectacle ; ces hommes avaient l’air de parler raisonnablement à une statue, comme les petites filles parlent à leur poupée. La paralytique se tenait roide et muette devant eux, et ils bavardaient, et ils multipliaient les gestes, ayant avec elle des conversations très-animées. Michaud et Grivet s’applaudirent de leur excellente tenue. En agissant ainsi, ils croyaient faire preuve de politesse ; ils s’évitaient, en outre, l’ennui des condoléances d’usage. Madame Raquin devait être flattée de se voir traitée en personne bien portante, et, dès lors, il leur était permis de s’égayer en sa présence sans le moindre scrupule.

Grivet eut une manie. Il affirma qu’il s’entendait parfaitement avec madame Raquin, qu’elle ne pouvait le regarder sans qu’il comprît sur-le-champ ce qu’elle désirait. C’était encore là une attention délicate. Seu-