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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/253

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pensée à un double spectacle d’une ironie si atroce, qu’elle eût voulu mourir pour ne plus penser. Une seule idée, machinale et implacable, broyait son cerveau avec une pesanteur et un entêtement de meule. Elle se répétait : « Ce sont mes enfants qui ont tué mon enfant, » et elle ne trouvait rien autre chose pour exprimer son désespoir.

Dans le brusque changement de son cœur, elle se cherchait avec égarement et ne se reconnaissait plus ; elle restait écrasée sous l’envahissement brutal des pensées de vengeance qui chassaient toute la bonté de sa vie. Quand elle eut été transformée, il fit noir en elle ; elle sentit naître dans sa chair mourante un nouvel être, impitoyable et cruel, qui aurait voulu mordre les assassins de son fils.

Lorsqu’elle eut succombé sous l’étreinte accablante de la paralysie, lorsqu’elle eut compris qu’elle ne pouvait sauter à la gorge de Thérèse et de Laurent, qu’elle rêvait d’étrangler, elle se résigna au silence et à l’immobilité, et de grosses larmes tombèrent lentement de ses yeux. Rien ne fut plus navrant que ce désespoir muet et immobile. Ces larmes qui coulaient une à une sur ce visage mort dont pas une ride ne bougeait, cette face inerte et blafarde qui ne pouvait pleurer par tous ses traits et où les yeux seuls sanglotaient, offraient un spectacle poignant.

Thérèse fut prise d’une pitié épouvantée.

— Il faut la coucher, dit-elle à Laurent en lui montrant sa tante.