Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/258

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Quand les joueurs aperçurent au milieu d’eux cette main de morte, blanche et molle, ils furent très-surpris. Grivet s’arrêta, le bras en l’air, au moment où il allait poser victorieusement le double-six. Depuis son attaque, l’impotente n’avait plus remué les mains.

— Hé ! voyez donc, Thérèse, cria Michaud, voilà madame Raquin qui agite les doigts… Elle désire sans doute quelque chose.

Thérèse ne put répondre ; elle avait suivi, ainsi que Laurent, le labeur de la paralytique, elle regardait la main de sa tante, blafarde sous la lumière crue de la lampe, comme une main vengeresse qui allait parler. Les deux meurtriers attendaient, haletants.

— Pardieu ! oui, dit Grivet, elle désire quelque chose… Oh ! nous nous comprenons bien tous les deux… Elle veut jouer aux dominos… Hein ! n’est-ce pas, chère dame ?

Madame Raquin fit un signe violent de dénégation. Elle allongea un doigt, replia les autres, avec des peines infinies, et se mit à tracer péniblement des lettres sur la table. Elle n’avait pas indiqué quelques traits, que Grivet s’écria de nouveau avec triomphe :

— Je comprends : elle dit que je fais bien de poser le double-six.

L’impotente jeta sur le vieil employé un regard terrible et reprit le mot qu’elle voulait écrire. Mais, à chaque instant, Grivet l’interrompait en déclarant que c’était inutile, qu’il avait compris, et il avançait une sottise. Michaud finit par le faire taire.