Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/264

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daient avec terreur où allaient les conduire l’épouvante et le dégoût. Ils n’apercevaient qu’un avenir effroyable de douleur, qu’un dénoûment sinistre et violent. Alors, comme deux ennemis qu’on aurait attachés ensemble et qui feraient de vains efforts pour se soustraire à cet embrassement forcé, ils tendaient leurs muscles et leurs nerfs, ils se roidissaient sans parvenir à se délivrer. Puis, comprenant que jamais ils n’échapperaient à leur étreinte, irrités par les cordes qui leur coupaient la chair, écœurés de leur contact, sentant à chaque heure croître leur malaise, oubliant qu’ils s’étaient eux-mêmes liés l’un à l’autre, et ne pouvant supporter leurs liens un instant de plus, ils s’adressaient des reproches sanglants, ils essayaient de souffrir moins, de panser les blessures qu’ils se faisaient, en s’injuriant, en s’étourdissant de leurs cris et de leurs accusations.

Chaque soir une querelle éclatait. On eût dit que les meurtriers cherchaient des occasions pour s’exaspérer, pour détendre leurs nerfs roidis. Ils s’épiaient, se tâtaient du regard, fouillant leurs blessures, trouvant le vif de chaque plaie, et prenant une âcre volupté à se faire crier de douleur. Ils vivaient ainsi au milieu d’une irritation continuelle, las d’eux-mêmes, ne pouvant plus supporter un mot, un geste, un regard, sans souffrir et sans délirer. Leur être entier se trouvait préparé pour la violence ; la plus légère impatience, la contrariété la plus ordinaire grandissaient d’une façon étrange dans leur organisme détraqué, et devenaient