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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/265

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tout d’un coup grosses de brutalité. Un rien soulevait un orage qui durait jusqu’au lendemain. Un plat trop chaud, une fenêtre ouverte, un démenti, une simple observation suffisaient pour les pousser à de véritables crises de folie. Et toujours, à un moment de la dispute, ils se jetaient le noyé à la face. De parole en parole, ils en arrivaient à se reprocher la noyade de Saint-Ouen ; alors ils voyaient rouge, ils s’exaltaient jusqu’à la rage. C’étaient des scènes atroces, des étouffements, des coups, des cris ignobles, des brutalités honteuses. D’ordinaire, Thérèse et Laurent s’exaspéraient ainsi après le repas ; ils s’enfermaient dans la salle à manger pour que le bruit de leur désespoir ne fût pas entendu. Là, ils pouvaient se dévorer à l’aise, au fond de cette pièce humide, de cette sorte de caveau que la lampe éclairait de lueurs jaunâtres. Leurs voix, au milieu du silence et de la tranquillité de l’air, prenaient des sécheresses déchirantes. Et ils ne cessaient que lorsqu’ils étaient brisés de fatigue ; alors seulement ils pouvaient aller goûter quelques heures de repos. Leurs querelles devinrent comme un besoin pour eux, comme un moyen de gagner le sommeil en hébétant leurs nerfs.

Madame Raquin les écoutait. Elle était là sans cesse, dans son fauteuil, les mains pendantes sur les genoux, la tête droite, la face muette. Elle entendait tout, et sa chair morte n’avait pas un frisson. Ses yeux s’attachaient sur les meurtriers avec une fixité aiguë. Son martyre devait être atroce. Elle sut ainsi, détail par