Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/277

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les remords, un excellent moyen d’apaiser ses nerfs ; elle continua à embrasser chaque jour l’impotente, par pénitence et pour se soulager.

— Oh ! que vous êtes bonne ! s’écriait-elle parfois. Je vois bien que mes larmes vous ont touchée… Vos regards sont pleins de pitié… Je suis sauvée…

Et elle l’accablait de caresses, elle posait sa tête sur ses genoux, lui baisait les mains, lui souriait d’une façon heureuse, la soignait avec les marques d’une affection passionnée. Au bout de quelque temps, elle crut à la réalité de cette comédie, elle s’imagina qu’elle avait obtenu le pardon de madame Raquin, et ne l’entretint plus que du bonheur qu’elle éprouvait d’avoir sa grâce.

C’en était trop pour la paralytique. Elle faillit en mourir. Sous les baisers de sa nièce, elle ressentait cette sensation âcre de répugnance et de rage qui l’emplissait matin et soir, lorsque Laurent la prenait dans ses bras pour la lever ou la coucher. Elle était obligée de subir les caresses immondes de la misérable qui avait trahi et tué son fils ; elle ne pouvait même essuyer de la main les baisers que cette femme laissait sur ses joues. Pendant de longues heures, elle sentait ces baisers qui la brûlaient. C’est ainsi qu’elle était devenue la poupée des meurtriers de Camille, poupée qu’ils habillaient, qu’ils tournaient à droite et à gauche, dont ils se servaient selon leurs besoins et leurs caprices. Elle restait inerte entre leurs mains, comme si elle n’avait eu que du son dans les entrailles, et