Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/276

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chaque instant, et qui toujours remettaient devant elle l’assassinat de Camille. Elle ne pouvait pardonner, elle s’enfermait dans une pensée implacable de vengeance, que son impuissance rendait plus aiguë, et, toute la journée, il lui fallait entendre des demandes de pardon, des prières humbles et lâches. Elle aurait voulu répondre ; certaines phrases de sa nièce faisaient monter à sa gorge des refus écrasants, mais elle devait rester muette, laissant Thérèse plaider sa cause, sans jamais l’interrompre. L’impossibilité où elle était de crier et de se boucher les oreilles l’emplissait d’un tourment inexprimable. Et, une à une, les paroles de la jeune femme entraient dans son esprit, lentes et plaintives, comme un chant irritant. Elle crut un instant que les meurtriers lui infligeaient ce genre de supplice par une pensée diabolique de cruauté. Son unique moyen de défense était de fermer les yeux, dès que sa nièce s’agenouillait devant elle ; si elle l’entendait, elle ne la voyait pas.

Thérèse finit par s’enhardir jusqu’à embrasser sa tante. Un jour, pendant un accès de repentir, elle feignit d’avoir surpris dans les yeux de la paralytique une pensée de miséricorde ; elle se traîna sur les genoux, elle se souleva, en criant d’une voix éperdue : « Vous me pardonnez ! vous me pardonnez ! » puis elle baisa le front et les joues de la pauvre vieille, qui ne put rejeter la tête en arrière. La chair froide sur laquelle Thérèse posa les lèvres, lui causa un violent dégoût. Elle pensa que ce dégoût serait, comme les larmes et