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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/282

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le bien qu’il entendait dire de sa victime finissait par lui causer une anxiété poignante ; il se laissait prendre parfois aux accents déchirants de sa femme, il croyait réellement aux vertus de Camille, et ses effrois redoublaient. Mais ce qui le jetait hors de lui, ce qui l’amenait à des actes de violence, c’était le parallèle que la veuve du noyé ne manquait jamais d’établir entre son premier et son second mari, tout à l’avantage du premier.

— Eh bien ! oui, criait-elle, il était meilleur que toi ; je préférerais qu’il vécût encore et que tu fusses à sa place couché dans la terre.

Laurent haussait d’abord les épaules.

— Tu as beau dire, continuait-elle en s’animant, je ne l’ai peut-être pas aimé de son vivant, mais maintenant je me souviens et je l’aime… Je l’aime et je te hais, vois-tu. Toi, tu es un assassin…

— Te tairas-tu ! hurlait Laurent.

— Et lui, il est une victime, un honnête homme qu’un coquin a tué. Oh ! tu ne me fais pas peur… Tu sais bien que tu es un misérable, un homme brutal, sans cœur, sans âme. Comment veux-tu que je t’aime, maintenant que te voilà couvert du sang de Camille ?… Camille avait toutes les tendresses pour moi, et je te tuerais, entends-tu ? si cela pouvait ressusciter Camille et me rendre son amour.

— Te tairas-tu, misérable !

— Pourquoi me tairais-je ? je dis la vérité. J’achèterais le pardon au prix de ton sang. Ah ! que je pleure