Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/286

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Thérèse était désespérée ; elle se demandait au pied de quelle borne elle irait pleurer et se repentir, quand sa tante ne serait plus là. Elle lui tint d’interminables discours pour lui prouver qu’elle devait vivre ; elle pleura, elle se fâcha même, retrouvant ses anciennes colères, ouvrant les mâchoires de la paralytique comme on ouvre celles d’un animal qui résiste. Madame Raquin tenait bon. C’était une lutte odieuse.

Laurent restait parfaitement neutre et indifférent. Il s’étonnait de la rage que Thérèse mettait à empêcher le suicide de l’impotente. Maintenant que la présence de la vieille femme leur était inutile, il souhaitait sa mort. Il ne l’aurait pas tuée, mais puisqu’elle désirait mourir, il ne voyait pas la nécessité de lui en refuser les moyens.

— Eh ! laisse-la donc, criait-il à sa femme. Ce sera un bon débarras… Nous serons peut-être plus heureux, quand elle ne sera plus là.

Cette parole, répétée à plusieurs reprises devant elle, causa à madame Raquin une étrange émotion. Elle eut peur que l’espérance de Laurent ne se réalisât, qu’après sa mort le ménage ne goûtât des heures calmes et heureuses. Elle se dit qu’elle était lâche de mourir, qu’elle n’avait pas le droit de s’en aller avant d’avoir assisté au dénoûment de la sinistre aventure. Alors seulement elle pourrait descendre dans la nuit, pour dire à Camille : « Tu es vengé. » La pensée du suicide lui devint lourde, lorsqu’elle songea tout d’un coup à l’ignorance qu’elle emporterait dans la