Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/287

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tombe ; là, au milieu du froid et du silence de la terre, elle dormirait, éternellement tourmentée par l’incertitude où elle serait du châtiment de ses bourreaux. Pour bien dormir du sommeil de la mort, il lui fallait s’assoupir dans la joie cuisante de la vengeance, il lui fallait emporter un rêve de haine satisfaite, un rêve qu’elle ferait pendant l’éternité. Elle prit les aliments que sa nièce lui présentait, elle consentit à vivre encore.

D’ailleurs, elle voyait bien que le dénoûment ne pouvait être loin. Chaque jour, la situation entre les époux devenait plus tendue, plus insoutenable. Un éclat qui devait tout briser, était imminent. Thérèse et Laurent se dressaient plus menaçants l’un devant l’autre, à toute heure. Ce n’était plus seulement la nuit qu’ils souffraient de leur intimité ; leurs journées entières se passaient au milieu d’anxiétés, de crises déchirantes. Tout leur devenait effroi et souffrance. Ils vivaient dans un enfer, se meurtrissant, rendant amer et cruel ce qu’ils faisaient et ce qu’ils disaient, voulant se pousser l’un l’autre au fond du gouffre qu’ils sentaient sous leurs pieds, et tombant à la fois.

La pensée de la séparation leur était bien venue à tous deux. Ils avaient rêvé, chacun de son côté, de fuir, d’aller goûter quelque repos, loin de ce passage du Pont-Neuf dont l’humidité et la crasse semblaient faites pour leur vie désolée. Mais ils n’osaient, ils ne pouvaient se sauver. Ne point se déchirer mutuellement, ne point rester là pour souffrir et se faire souf-