Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/289

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longtemps elle avait le désir de venir travailler avec elle, pendant qu’Olivier était à son bureau. Elle apporta sa broderie et prit, derrière le comptoir, la place vide de madame Raquin.

Thérèse, à partir de ce jour, délaissa un peu sa tante. Elle monta moins souvent pleurer sur ses genoux et baiser sa face morte. Elle avait une autre occupation. Elle écoutait avec des efforts d’intérêt les bavardages lents de Suzanne qui parlait de son ménage, des banalités de sa vie monotone. Cela la tirait d’elle-même. Elle se surprenait parfois à s’intéresser à des sottises, ce qui la faisait ensuite sourire amèrement.

Peu à peu, elle perdit toute la clientèle qui fréquentait la boutique. Depuis que sa tante était étendue en haut dans son fauteuil, elle laissait le magasin se pourrir, elle abandonnait les marchandises à la poussière et à l’humidité. Des odeurs de moisi traînaient, des araignées descendaient du plafond, le parquet n’était presque jamais balayé. D’ailleurs, ce qui mit en fuite les clientes fut l’étrange façon dont Thérèse les recevait parfois. Lorsqu’elle était en haut, battue par Laurent ou secouée par une crise d’effroi, et que la sonnette de la porte du magasin tintait impérieusement, il lui fallait descendre, sans presque prendre le temps de renouer ses cheveux ni d’essuyer ses larmes ; elle servait alors avec brusquerie la cliente qui l’attendait, elle s’épargnait même souvent la peine de la servir, en répondant, du haut de l’escalier de bois, qu’elle ne tenait plus ce dont on demandait. Ces fa-