Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

çons peu engageantes n’étaient pas faites pour retenir les gens. Les petites ouvrières du quartier, habituées aux amabilités doucereuses de madame Raquin, se retirèrent devant les rudesses et les regards fous de Thérèse. Quand cette dernière eut pris Suzanne avec elle, la défection fut complète : les deux jeunes femmes, pour ne plus être dérangées au milieu de leurs bavardages, s’arrangèrent de manière à congédier les dernières acheteuses qui se présentaient encore. Dès lors, le commerce de mercerie cessa de fournir un sou aux besoins du ménage ; il fallut attaquer le capital des quarante et quelques mille francs.

Parfois, Thérèse sortait pendant des après-midi entières. Personne ne savait où elle allait. Elle avait sans doute pris Suzanne avec elle, non-seulement pour lui tenir compagnie, mais aussi pour garder la boutique, pendant ses absences. Le soir, quand elle rentrait, éreintée, les paupières noires d’épuisement, elle retrouvait la petite femme d’Olivier, derrière le comptoir, affaissée, souriant d’un sourire vague, dans la même attitude où elle l’avait laissée cinq heures auparavant.

Cinq mois environ après son mariage, Thérèse eut une épouvante. Elle acquit la certitude qu’elle était enceinte. La pensée d’avoir un enfant de Laurent lui paraissait monstrueuse, sans qu’elle s’expliquât pourquoi. Elle avait vaguement peur d’accoucher d’un noyé. Il lui semblait sentir dans ses entrailles le froid d’un cadavre dissous et amolli. À tout prix, elle voulut