Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/293

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lui que son oisiveté rendait ses angoisses plus cruelles en lui laissant toutes les heures de sa vie pour songer à ses désespoirs et en approfondir l’âpreté incurable. La paresse, cette existence de brute qu’il avait rêvée, était son châtiment. Par moments, il souhaitait avec ardeur une occupation qui le tirât de ses pensées. Puis il se laissait aller, il retombait sous le poids de la fatalité sourde qui lui liait les membres pour l’écraser plus sûrement.

À la vérité, il ne goûtait quelque soulagement que lorsqu’il battait Thérèse, le soir. Cela le faisait sortir de sa douleur engourdie.

Sa souffrance la plus aiguë, souffrance physique et morale, lui venait de la morsure que Camille lui avait faite au cou. À certains moments, il s’imaginait que cette cicatrice lui couvrait tout le corps. S’il venait à oublier le passé, une piqûre ardente, qu’il croyait ressentir, rappelait le meurtre à sa chair et à son esprit. Il ne pouvait se mettre devant un miroir, sans voir s’accomplir le phénomène qu’il avait si souvent remarqué et qui l’épouvantait toujours : sous l’émotion qu’il éprouvait, le sang montait à son cou, empourprait la plaie, qui se mettait à lui ronger la peau. Cette sorte de blessure vivant sur lui, se réveillant, rougissant et le mordant au moindre trouble, l’effrayait et le torturait. Il finissait par croire que les dents du noyé avaient enfoncé là une bête qui le dévorait. Le morceau de son cou où se trouvait la cicatrice ne lui semblait plus appartenir à son corps ; c’était comme de la chair