Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/294

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étrangère qu’on aurait collée en cet endroit, comme une viande empoisonnée qui pourrissait ses propres muscles. Il portait ainsi partout avec lui le souvenir vivant et dévorant de son crime. Thérèse, quand il la battait, cherchait à l’égratigner à cette place ; elle y entrait parfois ses ongles et le faisait hurler de douleur. D’ordinaire, elle feignait de sangloter, dès qu’elle voyait la morsure, afin de la rendre plus insupportable à Laurent. Toute la vengeance qu’elle tirait de ses brutalités, était de le martyriser à l’aide de cette morsure.

Il avait bien des fois été tenté, lorsqu’il se rasait, de s’entamer le cou, pour faire disparaître les marques des dents du noyé. Devant le miroir, quand il levait le menton et qu’il apercevait la tache rouge, sous la mousse blanche du savon, il lui prenait des rages soudaines, il approchait vivement le rasoir, près de couper en pleine chair. Mais le froid du rasoir sur sa peau le rappelait toujours à lui ; il avait une défaillance, il était obligé de s’asseoir et d’attendre que sa lâcheté rassurée lui permît d’achever de se faire la barbe.

Il ne sortait, le soir, de son engourdissement que pour entrer dans des colères aveugles et puériles. Lorsqu’il était las de se quereller avec Thérèse et de la battre, il donnait, comme les enfants, des coups de pied dans les murs, il cherchait quelque chose à briser. Cela le soulageait. Il avait une haine particulière pour le chat tigré François qui, dès qu’il arrivait, allait