Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/299

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traîne ; elle se dandinait sur le trottoir d’une façon provocante, regardant les hommes, relevant si haut le devant de sa jupe, en la prenant à poignée, qu’elle montrait tout le devant de ses jambes, ses bottines lacées et ses bas blancs. Elle remonta la rue Mazarine. Laurent la suivit.

Le temps était doux, la jeune femme marchait lentement, la tête un peu renversée, les cheveux dans le dos. Les hommes qui l’avaient regardée de face se retournaient pour la voir par derrière. Elle prit la rue de l’École-de-Médecine. Laurent fut terrifié ; il savait qu’il y avait quelque part près de là un commissariat de police ; il se dit qu’il ne pouvait plus douter, que sa femme allait sûrement le livrer. Alors il se promit de s’élancer sur elle, si elle franchissait la porte du commissariat, de la supplier, de la battre, de la forcer à se taire. Au coin d’une rue, elle regarda un sergent de ville qui passait, et il trembla de lui voir aborder ce sergent de ville ; il se cacha dans le creux d’une porte, saisi de la crainte soudaine d’être arrêté sur-le-champ, s’il se montrait. Cette course fut pour lui une véritable agonie ; tandis que sa femme s’étalait au soleil sur le trottoir, traînant ses jupes, nonchalante et impudique, il venait derrière elle, pâle et frémissant, se répétant que tout était fini, qu’il ne pourrait se sauver et qu’on le guillotinerait. Chaque pas qu’il lui voyait faire lui semblait un pas de plus vers le châtiment. La peur lui donnait une sorte de conviction aveugle, les moindres mouvements de la jeune femme ajoutaient à sa certi-