Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/306

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l’avance, il ne parvenait point à se monter l’imagination, à exciter ses sens et son estomac. Il souffrait un peu plus en se forçant à la débauche, et c’était tout. Puis, quand il rentrait, quand il revoyait madame Raquin et Thérèse, sa lassitude le livrait à des crises affreuses de terreur ; il jurait alors de ne plus sortir, de rester dans sa souffrance pour s’y habituer et la vaincre.

De son côté Thérèse sortit de moins en moins. Pendant un mois, elle vécut comme Laurent, sur les trottoirs, dans les cafés. Elle rentrait un instant, le soir, faisait manger madame Raquin, la couchait, et s’absentait de nouveau jusqu’au lendemain. Elle et son mari restèrent, une fois, quatre jours sans se voir. Puis elle eut des dégoûts profonds, elle sentit que le vice ne lui réussissait pas plus que la comédie du remords. Elle s’était en vain traînée dans tous les hôtels garnis du quartier Latin, elle avait en vain mené une vie sale et tapageuse. Ses nerfs étaient brisés ; la débauche, les plaisirs physiques ne lui donnaient plus des secousses assez violentes pour lui procurer l’oubli. Elle était comme un de ces ivrognes dont le palais brûlé reste insensible, sous le feu des liqueurs les plus fortes. Elle restait inerte dans la luxure, elle n’allait plus chercher auprès de ses amants qu’ennui et lassitude. Alors elle les quitta, se disant qu’ils lui étaient inutiles. Elle fut prise d’une paresse désespérée qui la retint au logis, en jupon malpropre, dépeignée, la figure et les mains sales. Elle s’oublia dans la crasse.