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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/307

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Lorsque les deux meurtriers se retrouvèrent ainsi face à face, lassés, ayant épuisé tous les moyens de se sauver l’un de l’autre, ils comprirent qu’ils n’auraient plus la force de lutter. La débauche n’avait pas voulu d’eux et venait de les rejeter à leurs angoisses. Ils étaient de nouveau dans le logement sombre et humide du passage, ils y étaient comme emprisonnés désormais, car souvent ils avaient tenté le salut, et jamais ils n’avaient pu briser le lien sanglant qui les liait. Ils ne songèrent même plus à essayer une besogne impossible. Ils se sentirent tellement poussés, écrasés, attachés ensemble par les faits, qu’ils eurent conscience que toute révolte serait ridicule. Ils reprirent leur vie commune, mais leur haine devint de la rage furieuse.

Les querelles du soir recommencèrent. D’ailleurs les coups, les cris duraient tout le jour. À la haine vint se joindre la méfiance, et la méfiance acheva de les rendre fous.

Ils eurent peur l’un de l’autre. La scène qui avait suivi la demande des cinq mille francs, se reproduisit bientôt matin et soir. Leur idée fixe était qu’ils voulaient se livrer mutuellement. Ils ne sortaient pas de là. Quand l’un d’eux disait une parole, faisait un geste, l’autre s’imaginait qu’il avait le projet d’aller chez le commissaire de police. Alors, ils se battaient ou ils s’imploraient. Dans leur colère, ils criaient qu’ils couraient tout révéler, ils s’épouvantaient à en mourir ; puis ils frissonnaient, ils s’humiliaient, ils se promet-