Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/308

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taient avec des larmes amères de garder le silence. Ils souffraient horriblement, mais ils ne se sentaient pas le courage de se guérir en posant un fer rouge sur la plaie. S’ils se menaçaient de confesser le crime, c’était uniquement pour se terrifier et s’en ôter la pensée, car jamais ils n’auraient eu la force de parler et de chercher la paix dans le châtiment.

À plus de vingt reprises, ils allèrent jusqu’à la porte du commissariat de police, l’un suivant l’autre. Tantôt c’était Laurent qui voulait avouer le meurtre, tantôt c’était Thérèse qui courait se livrer. Et ils se rejoignaient toujours dans la rue, et ils se décidaient toujours à attendre encore, après avoir échangé des insultes et des prières ardentes.

Chaque nouvelle crise les laissait plus soupçonneux et plus farouches.

Du matin au soir, ils s’espionnaient. Laurent ne quittait plus le logement du passage, et Thérèse ne le laissait plus sortir seul. Leurs soupçons, leur épouvante des aveux les rapprochèrent, les unirent dans une intimité atroce. Jamais, depuis leur mariage, ils n’avaient vécu si étroitement liés l’un à l’autre, et jamais ils n’avaient tant souffert. Mais, malgré les angoisses qu’ils s’imposaient, ils ne se quittaient pas des yeux, ils aimaient mieux endurer les douleurs les plus cuisantes, que de se séparer pendant une heure. Si Thérèse descendait à la boutique, Laurent la suivait, par crainte qu’elle ne causât avec une cliente ; si Laurent se tenait sur la porte, regardant les gens qui