Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/315

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compagna les invités jusque dans le passage. Laurent descendit aussi une lampe à la main. Quand ils furent seuls, les époux poussèrent chacun un soupir de soulagement ; une impatience sourde avait dû les dévorer pendant toute la soirée. Depuis la veille, ils étaient plus sombres, plus inquiets en face l’un de l’autre. Ils évitèrent de se regarder, ils remontèrent silencieusement. Leurs mains avaient de légers tremblements convulsifs, et Laurent fut obligé de poser la lampe sur la table, pour ne pas la laisser tomber.

Avant de coucher madame Raquin, ils avaient l’habitude de mettre en ordre la salle à manger, de préparer un verre d’eau sucrée pour la nuit, d’aller et de venir ainsi autour de la paralytique, jusqu’à ce que tout fût prêt.

Lorsqu’ils furent remontés, ce soir-là, ils s’assirent un instant, les yeux vagues, les lèvres pâles. Au bout d’un silence :

— Eh bien ! nous ne nous couchons pas ? demanda Laurent qui semblait sortir en sursaut d’un rêve.

— Si, si, nous nous couchons, répondit Thérèse en frissonnant, comme si elle avait eu grand froid.

Elle se leva et prit la carafe.

— Laisse, s’écria son mari d’une voix qu’il s’efforçait de rendre naturelle, je préparerai le verre d’eau sucrée… Occupe toi de ta tante.

Il enleva la carafe des mains de sa femme et remplit un verre d’eau. Puis, se tournant à demi, il y vida le petit flacon de grès, en y mettant un morceau de su-