Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/41

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encore, en livraisons à dix centimes, l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers, et l’Histoire des Girondins, de Lamartine, ou bien des ouvrages de vulgarisation scientifique. Il croyait travailler à son éducation. Parfois, il forçait sa femme à écouter la lecture de certaines pages, de certaines anecdotes. Il s’étonnait beaucoup que Thérèse pût rester pensive et silencieuse pendant toute une soirée, sans être tentée de prendre un livre. Au fond, il s’avouait que sa femme était une pauvre intelligence.

Thérèse repoussait les livres avec impatience. Elle préférait demeurer oisive, les yeux fixes, la pensée flottante et perdue. Elle gardait d’ailleurs une humeur égale et facile ; toute sa volonté tendait à faire de son être un instrument passif, d’une complaisance et d’une abnégation suprêmes.

Le commerce allait tout doucement. Les bénéfices, chaque mois, étaient régulièrement les mêmes. La clientèle se composait des ouvrières du quartier. À chaque cinq minutes, une jeune fille entrait, achetait pour quelques sous de marchandise. Thérèse servait les clientes avec des paroles toujours semblables, avec un sourire qui montait mécaniquement à ses lèvres. Madame Raquin se montrait plus souple, plus bavarde, et, à vrai dire, c’était elle qui attirait et retenait la clientèle.

Pendant trois ans, les jours se suivirent et se ressemblèrent. Camille ne s’absenta pas une seule fois de son bureau ; sa mère et sa femme sortirent à peine de