Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contra sa vieille amie dans le passage du Pont-Neuf ; le soir même, il dînait chez les Raquin.

Ainsi furent fondées les réceptions du jeudi. L’ancien commissaire de police prit l’habitude de venir ponctuellement une fois par semaine. Il finit par amener son fils Olivier, un grand garçon de trente ans, sec et maigre, qui avait épousé une toute petite femme, lente et maladive. Olivier occupait à la préfecture de police un emploi de trois mille francs dont Camille se montrait singulièrement jaloux ; il était commis principal dans le bureau de la police d’ordre et de sûreté. Dès le premier jour, Thérèse détesta ce garçon roide et froid qui croyait honorer la boutique du passage en y promenant la sécheresse de son grand corps et les défaillances de sa pauvre petite femme.

Camille introduisit un autre invité, un vieil employé du chemin de fer d’Orléans. Grivet avait vingt ans de service ; il était premier commis et gagnait deux mille cent francs. C’était lui qui distribuait la besogne aux employés du bureau de Camille, et celui-ci lui témoignait un certain respect ; dans ses rêves, il se disait que Grivet mourrait un jour, qu’il le remplacerait peut-être, au bout d’une dizaine d’années. Grivet fut enchanté de l’accueil de Madame Raquin, il revint chaque semaine avec une régularité parfaite. Six mois plus tard, sa visite du jeudi était devenue pour lui un devoir : il allait au passage du Pont-Neuf, comme il se rendait chaque matin à son bureau, mécaniquement, par un instinct de brute.