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Dès lors, les réunions devinrent charmantes. À sept heures, madame Raquin allumait le feu, mettait la lampe au milieu de la table, posait un jeu de dominos à côté, essuyait le service à thé qui se trouvait sur le buffet. À huit heures précises, le vieux Michaud et Grivet se rencontraient devant la boutique, venant l’un de la rue de Seine, l’autre de la rue Mazarine. Ils entraient, et toute la famille montait au premier étage. On s’asseyait autour de la table, on attendait Olivier Michaud et sa femme, qui arrivaient toujours en retard. Quand la réunion se trouvait au complet, madame Raquin versait le thé, Camille vidait la boîte de dominos sur la toile cirée, chacun s’enfonçait dans son jeu. On n’entendait plus que le cliquetis des dominos. Après chaque partie, les joueurs se querellaient pendant deux ou trois minutes, puis le silence retombait, morne, coupé de bruits secs.

Thérèse jouait avec une indifférence qui irritait Camille. Elle prenait sur elle François, le gros chat tigré que madame Raquin avait apporté de Vernon, elle le caressait d’une main, tandis qu’elle posait les dominos de l’autre. Les soirées du jeudi étaient un supplice pour elle ; souvent elle se plaignait d’un malaise, d’une forte migraine, afin de ne pas jouer, de rester là oisive, à moitié endormie. Un coude sur la table, la joue appuyée sur la paume de la main, elle regardait les invités de sa tante et de son mari, elle les voyait à travers une sorte de brouillard jaune et fumeux qui sortait de la lampe. Toutes ces têtes-là l’exaspéraient. Elle allait de