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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/46

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l’une à l’autre avec des dégoûts profonds, des irritations sourdes. Le vieux Michaud étalait une face blafarde, tachée de plaques rouges, une de ces faces mortes de vieillard tombé en enfance ; Grivet avait le masque étroit, les yeux ronds, les lèvres minces d’un crétin ; Olivier, dont les os perçaient les joues, portait gravement sur un corps ridicule une tête roide et insignifiante ; quant à Suzanne, la femme d’Olivier, elle était toute pâle, les yeux vagues, les lèvres blanches, le visage mou. Et Thérèse ne trouvait pas un homme, pas un être vivant parmi ces créatures grotesques et sinistres avec lesquels elle était enfermée ; parfois des hallucinations la prenaient, elle se croyait enfouie au fond d’un caveau, en compagnie de cadavres mécaniques, remuant la tête, agitant les jambes et les bras, lorsqu’on tirait des ficelles. L’air épais de la salle à manger l’étouffait ; le silence frissonnant, les lueurs jaunâtres de la lampe la pénétraient d’un vague effroi, d’une angoisse inexprimable.

On avait posé en bas, à la porte du magasin, une sonnette dont le tintement aigu annonçait l’entrée des clientes. Thérèse tendait l’oreille ; lorsque la sonnette se faisait entendre, elle descendait rapidement, soulagée, heureuse de quitter la salle à manger. Elle servait la pratique avec lenteur. Quand elle se trouvait seule, elle s’asseyait derrière le comptoir, elle demeurait là le plus longtemps possible, redoutant de remonter, goûtant une véritable joie à ne plus avoir Grivet et Olivier devant les yeux. L’air humide de la boutique