Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/50

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Puis elle s’oublia à considérer les grosses mains qu’il tenait étalées sur ses genoux ; les doigts en étaient carrés ; le poing fermé devait être énorme et aurait pu assommer un bœuf. Laurent était un vrai fils de paysan, d’allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l’air tranquille et entêté. On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d’une chair épaisse et ferme. Et Thérèse l’examinait avec curiosité, allant de ses poings à sa face, éprouvant de petits frissons lorsque ses yeux rencontraient son cou de taureau.

Camille étala ses volumes de Buffon et ses livraisons à dix centimes, pour montrer à son ami qu’il travaillait, lui aussi. Puis, comme répondant à une question qu’il s’adressait depuis quelques instants :

— Mais, dit-il à Laurent, tu dois connaître ma femme ? Tu ne te rappelles pas cette petite cousine qui jouait avec nous, à Vernon ?

— J’ai parfaitement reconnu madame, répondit Laurent en regardant Thérèse en face.

Sous ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle, la jeune femme éprouva une sorte de malaise. Elle eut un sourire forcé, et échangea quelques mots avec Laurent et son mari ; puis elle se hâta d’aller rejoindre sa tante. Elle souffrait.

On se mit à table. Dès le potage, Camille crut devoir s’occuper de son ami.

— Comment va ton père ? lui demanda-t-il.

— Mais je ne sais pas, répondit Laurent. Nous