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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/51

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sommes brouillés ; il y a cinq ans que nous ne nous écrivons plus.

— Bah ! s’écria l’employé, étonné d’une pareille monstruosité.

— Oui, le cher homme a des idées à lui… Comme il est continuellement en procès avec ses voisins, il m’a mis au collège, rêvant de trouver plus tard en moi un avocat qui lui gagnerait toutes ses causes… Oh ! le père Laurent n’a que des ambitions utiles ; il veut tirer parti même de ses folies.

— Et tu n’as pas voulu être avocat ? dit Camille, de plus en plus étonné.

— Ma foi non, reprit son ami en riant… Pendant deux ans, j’ai fait semblant de suivre les cours, afin de toucher la pension de douze cents francs que mon père me servait. Je vivais avec un de mes camarades de collège, qui est peintre, et je m’étais mis à faire aussi de la peinture. Cela m’amusait ; le métier est drôle, pas fatigant. Nous fumions, nous blaguions tout le jour…

La famille Raquin ouvrait des yeux énormes.

— Par malheur, continua Laurent, cela ne pouvait durer. Le père a su que je lui contais des mensonges, il m’a retranché net mes cent francs par mois, en m’invitant à venir piocher la terre avec lui. J’ai essayé alors de peindre des tableaux de sainteté ; mauvais commerce… Comme j’ai vu clairement que j’allais mourir de faim, j’ai envoyé l’art à tous les diables et