Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/52

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j’ai cherché un emploi… Le père mourra bien un de ces jours ; j’attends ça pour vivre sans rien faire.

Laurent parlait d’une voix tranquille. Il venait, en quelques mots, de conter une histoire caractéristique qui le peignait en entier. Au fond, c’était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très-arrêtés de jouissances faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu’à ne rien faire, qu’à se vautrer dans une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures. Il aurait voulu bien manger, bien dormir, contenter largement ses passions, sans remuer de place, sans courir la mauvaise chance d’une fatigue quelconque.

La profession d’avocat l’avait épouvanté, et il frissonnait à l’idée de piocher la terre. Il s’était jeté dans l’art, espérant y trouver un métier de paresseux ; le pinceau lui semblait un instrument léger à manier ; puis il croyait le succès facile. Il rêvait une vie de voluptés à bon marché, une belle vie pleine de femmes, de repos sur des divans, de mangeailles et de soûleries. Le rêve dura tant que le père Laurent envoya des écus. Mais, lorsque le jeune homme, qui avait déjà trente ans, vit la misère à l’horizon, il se mit à réfléchir ; il se sentait lâche devant les privations, il n’aurait pas accepté une journée sans pain pour la plus grande gloire de l’art. Comme il le disait, il envoya la peinture au diable, le jour où il s’aperçut qu’elle ne contenterait jamais ses larges appétits. Ses premiers essais étaient restés au-dessous de la médiocrité ; son